Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
chiliconrana.over-blog.com
chiliconrana.over-blog.com
Manif-anniversaire de l'Estallido social

Manif-anniversaire de l'Estallido social

Manif-anniversaire de l'Estallido social

Mon choix de revenir au Chili en octobre était en partie lié au fait que ce seraient les 3 ans de l'Estallido social, mouvement de révolte social qui a commencé le 18 octobre 2019, suite à l'augmentation de 30 pesos du trajet de métro. Des étudiants ont sauté par-dessus les tourniquets pendant 2 semaines, et leur action a pris de l'ampleur à cette date, à Santiago, si bien que l'état d'urgence a été décrété. Le lendemain, la révolte se propageait dans l'ensemble du pays. A Valparaiso, le journal El Mercurio, auteur de nombreux articles de propagande anticommuniste et pro-Pinochet à l'époque du coup d'Etat et de la dictature, prenait feu,  des grandes enseignes pratiquant des prix peu accessibles au regard des salaires chiliens étaient vandalisées, des barricades étaient dressées et les rues se remplissaient de manifestants.

No son 30 pesos, son 30 años (il ne s'agit pas de 30 pesos, mais de 30 ans -d'un régime portant les séquelles de la dictature), Nos quitaron todo hasta el miedo (on nous a tout pris, même la peur)... Des devises fortes accompagnaient ce mouvement, aussi bien pour décrire ce qui le motivait que pour rythmer, avec humour, les manifestations et défier la répression : Quien no salta es paco! (celui qui ne saute pas est un flic, devise reprise des manifestations des années 1970, lors desquelles était scandé que quien no salta es momio - qui ne saute pas est un bourgeois), Uf, uf, que calor, un guanaco por favor! (Ouh! Ouh! Quelle chaleur, qu'un lama - surnom donné aux véhicules tirant des gaz lacrymogènes - m'asperge s'il vous plaît!), Paco perkin! (Pigeon de flic, expression qui fait référence aux prisonniers chargés d'effectuer les corvées les plus pénibles et maltraités par leurs codétenus). Des cacerolazos - concerts de casseroles - retentissaient dans le pays, en faisant au passage un beau pied de nez aux manifestantes issues de classes aisées et opposées au régime de Salvador Allende qui les employaient pour manifester contre son régime.

La répression militaire et policière avait un goût amer d'histoire qui se répète. Le 20 octobre, le président conservateur Sebastian Pinera annonçait la couleur, en déclarant à la presse: "Nous sommes en guerre contre un ennemi puissant, implacable, qui ne respecte rien ni personne et qui est prêt à faire usage de la violence et de la délinquance sans aucune limite". En 3 mois, une vingtaine de morts et 400 blessures oculaires étaient répertoriées, sans parler des sévices physiques et sexuels subis par des manifestants, et d'autres blessures physiques. Il était ordinaire d'aller manifester équipé d'un t-shirt à manches longues - pour protéger sa peau des gaz lacrymogènes, qui pouvaient causer des brûlures, de lunettes de bricolage - pour protéger ses yeux des tirs de balles réelles de caoutchouc, d'eau mélangée avec du bicarbonate de soude - pour soulager ses yeux en cas d'irritation causée par les gaz lacrymogènes, et de demi-citrons - à croquer en cas de mal de gorge. Il n'était pas souhaitable d'aller manifester si l'on n'était pas assez en forme pour courir quand les forces de l'ordre chargeaient... Les jets de pierre des manifestants contre les véhicules blindés des forces de l'ordre et les incendies volontaires d'objets dérobés dans de grandes enseignes - téléviseurs à écran plat, scooters... - étaient monnaie courante.

Un couvre-feu était décrété dès le 19 octobre à 18h. Les forces de l'ordre veillaient à le faire respecter en dispersant avec une dureté particulière les manifestants à partir de 17h, et il n'était vraiment pas recommandé, pour sa sécurité personnelle, de se hasarder à le braver. Dans la rue où je vivais, la Subida Ecuador, située au centre-ville et habituellement très animée par tous les bars, la plupart des voisins restaient à l'extérieur, juste dans l'entrée de leur maison, et nous continuions à vivre et à converser de cette situation inédite en écoutant les paroles et chanson diffusées par la radio libertaire Radio Placeres.

Il était possible de participer de différentes manières à ce mouvement social, pas seulement en manifestant, mais aussi en donnant ou en participant à des ateliers d'échanges de savoirs, aux centres de premiers secours portés aux manifestants blessés, ou encore aux olla commun, repas partagés à prix libre.

J'ai écrit au début de ce mouvement social un article pour témoigner de ce que je voyais sur Mediapart, accessible à partir du lien suivant: 

Manif-anniversaire de l'Estallido social

Un couvre-feu était décrété dès le 19 octobre à 18h. Les forces de l'ordre veillaient à le faire respecter en dispersant avec une dureté particulière les manifestants à partir de 17h, et il n'était vraiment pas recommandé, pour sa sécurité personnelle, de se hasarder à le braver. Dans la rue où je vivais, la Subida Ecuador, située au centre-ville et habituellement très animée par tous les bars, la plupart des voisins restaient à l'extérieur, juste dans l'entrée de leur maison, et nous continuions à vivre et à converser de cette situation inédite en écoutant les paroles et chanson diffusées par la radio libertaire Radio Placeres.

Il était possible de participer de différentes manières à ce mouvement social, pas seulement en manifestant, mais aussi en donnant ou en participant à des ateliers d'échanges de savoirs, aux centres de premiers secours portés aux manifestants blessés, ou encore aux olla commun, repas partagés à prix libre.

J'ai écrit au début de ce mouvement social un article pour témoigner de ce que je voyais sur Mediapart, accessible à partir du lien suivant: 

Les murs de la ville florissaient de nouvelles oeuvres, ou en voyaient se transformer en référence au mouvement social. Peintures sur les statues pour suggérer des yeux perdus, slogans d'opposition au pouvoir en place et dénonçant la répression...

Représentation d'un des étudiants qui, en sautant par-dessus les tourniquets du métro de Santiago, a lancé un mouvement social d'ampleur historique.

Représentation d'un des étudiants qui, en sautant par-dessus les tourniquets du métro de Santiago, a lancé un mouvement social d'ampleur historique.

Cazerolazo

Cazerolazo

Oeil blessé, "ouvre les yeux: au Chili on torture et on assassine"

Oeil blessé, "ouvre les yeux: au Chili on torture et on assassine"

détournement d'une photographie représentant l'auteur d'un acte de vandalisme sortant d'un magasin avec un écran plat: les vrais vandales, ici, sont ceux qui vendent les ressources du pays aux entreprises étrangères pour servir leurs intérêts financiers personnels.

détournement d'une photographie représentant l'auteur d'un acte de vandalisme sortant d'un magasin avec un écran plat: les vrais vandales, ici, sont ceux qui vendent les ressources du pays aux entreprises étrangères pour servir leurs intérêts financiers personnels.

La revendication principale de ce mouvement social était la rédaction d'une nouvelle constitution, rédigée par une assemblée citoyenne, afin de mettre fin à celle qui avait été rédigée sous la dictature de Pinochet, demeurée inchangée malgré la chute de son régime. Le gouvernement s'engageait à tenir un référendum lors duquel les chiliens seraient interrogés sur deux points: s'ils souhaitaient un changement de constitution, et s'ils souhaitaient que celle-ci soit rédigée par une assemblée citoyenne ou par les parlementaires.

Le début de la pandémie en mars 2020 a marqué un coup d'arrêt aux manifestations, tout en accentuant de manière criante les inégalités sociales et le manque d'assistance aux personnes rencontrant à ce moment-là des difficultés financières. Refus, dans un premier temps, d'imposer un confinement, et adoption d'un décret dispensant les employeurs devant temporairement fermer boutique de payer leurs salariés, dépannages de première nécessité distribués aux ménages les plus indigents mais absence d'indemnisation du plus grand nombre... Le référendum, initialement prévu pour le mois d'avril, était reporté au 25 octobre. Dans ce contexte, se confiner de son propre gré prenait tout son sens, et visait à pouvoir voter en octobre quand l'épidémie se serait résorbée. Le jour du référendum, le apruebo l'emportait à 79% des voix, tout comme le souhait que la rédaction de la nouvelle Constitution soit confiée à une assemblée citoyenne.

S'en suivait en mai 2021 l'élection de l'assemblée constituante, avec pour présidente Elisa Loncon, une femme mapuche issue d'un milieu modeste, qui après avoir appris à lire à l'âge de 17 ans est devenue titulaire de trois doctorats et enseignante en milieu universitaire. En décembre 2021, le candidat de gauche Gabriel Boric, âgé de 35 ans, battait son rival d'extrême-droite José Antonio Kast, et nommait 14 femmes sur 24 à des postes ministériels, y compris à des postes régaliens tel que le Ministère de la Défense nationale, confié à Maya Fernandez Allende, une des petites filles de l'ancien président du Chili Salvador Allende.

Cette succession d'événements apportait de nombreux espoirs de réformes économiques et sociales, mais était également rapidement accompagnée par son lot de déceptions: remilitarisation de l'Araucanie en mai 2022, face aux revendications territoriales mapuche, et non libération des prisonniers politiques incarcérés pendant l'estallido social. La bienveillance des médias vis-à-vis du gouvernement Boric et tout particulièrement de personnalités au parcours singulier telles qu'Elisa Loncon laissait rapidement à désirer, si bien que celle-ci renonçait à son mandat au terme d'une année. Une campagne contre la nouvelle Constitution, financée par des lobbys industriels, répandait des rumeurs dans les médias: "la nouvelle Constitution niera le droit de propriété et permettra d'exproprier les personnes de leur logement", "la nouvelle Constitution permettra d'avorter jusqu'aux neuf mois du foetus"...

Malgré tout, le suspense restait au rendez-vous lors du référendum du 4 septembre 2022. Sortie de la Constitution écrite sous la dictature de Pinochet, inscription dans la Constitution du droit à la santé, à l'éducation, à l'eau... Les enjeux étaient majeurs. Mariana, ma grande amie du Chili, raconte qu'elle est sortie le soir des résultats, prête à faire la fête et à célébrer les promesses d'un meilleur avenir pour ses filles qu'annoncerait la victoire du "apruebo", avant que l'annonce de la victoire du rechazo, à 61,9%, tombe comme un couperet... Différentes explications peuvent être apportées à ces résultats:

- La présence de sujets clivants dans le projet de Constitution, tels que la plurinationalité (reconnaissance des droits de différentes communautés qui coexistent à l'intérieur du même pays, entraînant une crainte que cette notion laisse place à des revendications indépendantistes du peuple mapuche), le mariage homosexuel, le droit à l'avortement, le respect de la dignité animale...

- Les rumeurs non vérifiées sur les bouleversements sociétaux qu'aurait entraîné l'adoption du projet de Constitution tel qu'il était présenté.

- Le vote rendu obligatoire, ayant amené à s'exprimer aux urnes des citoyens qui ne le faisaient pas habituellement.

- Les clivages au sein de l'Assemblée constituante qui ont alimenté les velléités de partisans du "rechazo" et porté atteinte à la crédibilité du projet politique qu'elle portait, parmi lesquels il est possible de citer les déclarations mensongères de Rodrigo Rojas Vade, qui avait déclaré souffrir d'un cancer avant que les médias viennent infirmer ses propos.

En arrivant au Chili un mois après ce résultat, j'ai senti beaucoup de découragement en échangeant avec mes proches qui avaient voté pour ce projet de Constitution, et de perte d'envie de s'investir dans des actions politiques. Le 19 octobre, une manifestation a été organisée pour les 3 ans de l'estallido social. Les revendications principales des manifestants portent sur la reconnaissance des droits du peuple mapuche, et la demande de libération des prisonniers politiques, incarcérés depuis le début de l'estallido social.

Ne connaissant pas de personne à Valparaiso qui avait l'intention de se rendre à la manifestation dès de début de l'après-midi, en sachant qu'il est moyennement conseillé d'aller manifester seul, au regard de la violence de la répression policière, et me sentant moi-même moins enthousiasmée et motivée dans ce climat morose, je ne m'y rends que vers 17h30, et je rejoins Erick, un ami journaliste mapuche originaire de la région de Temuco, dans le Sud du Chili. Je m'en remets entièrement à lui pour savoir comment réagir quand les policiers chargent, et savoir s'il est préférable de rester calmes et d'avancer lentement, de courir...

Nous nous retrouvons sur la Plaza Victoria, où le climat laisse un goût amer d'histoire qui se répète: douches de gaz lacrymogènes qui imbibent la rue, jets de pierres par les manifestants et injures à chaque passage d'un véhicule de police, barricades... Si la répression reste brutale, il est notable d'observer que la police ne tire plus à balles réelles sur les manifestants: les 400 blessures oculaires causées par la répression de l'estallido social  ont suffisamment attiré l'attention des organismes de défense des droits de l'homme pour que cette pratique ne puisse pas perdurer et demeurer impunie.

Manif-anniversaire de l'Estallido social
Manif-anniversaire de l'Estallido social
Manif-anniversaire de l'Estallido social

Nous sommes nombreux à garder notre téléphone ou appareil photo à la main et à faire de notre mieux pour capturer des images et vidéos de cette manifestation et de sa répression. On rencontre peu d'autres personnes que els participants à ce rassemblement dans la rue: de nombreuses enseignes ont fermé plus tôt que d'habitude par anticipation, des travailleurs ont été libérés de leurs fonctions pour pouvoir rentrer chez eux sans difficultés, et les affrontements ne prêtent pas vraiment à sortir et à aller festoyer en s'en tenant à l'écart. 

Vers 20h, nous décidons que nous en avons vu assez pour ce rassemblement: les affrontements se poursuivent et vont probablement durer encore plusieurs heures, et nous ne sommes venus ni avec la préparation nécessaire pour y participer activement, ni avec l'intention de le faire. Nous continuons d'échanger sur les événements politiques du moment et sur cette soirée. Je suis toujours impressionnée par la culture politique et la capacité à s'intéresser à l'avenir du pays des personnes que je rencontre, quels que soient leur profession ou leur milieu social d'origine. J'ai aussi le sentiment de voir des cycles se succéder dans la vie politique du Chili: des moments de révolte et d'espoir intenses, lors desquels les opinions réfractaires aux changements se font rapidement sentir, avant qu'arrivent de grandes déceptions... Erick rigole quand je parle de ces cycles: "On a l'habitude!". Peut-être qu'en effet je suis en train de faire de l'européocentrisme, alors que ce qui vaut aujourd'hui dans mon pays n'aura peut-être plus aucun sens d'ici deux ou trois ans...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Après avoir suivi les affrontements entre la police et les manifestants pendant 2h30, nous décidons que nous avons eu assez.